La conception de l’évolution que propose Sri Aurobindo n’est donc pas seulement matérialiste comme celle de la plupart des héritiers de Charles Darwin. Aurobindo ne nie pas l’approche matérialiste mais il signifie sa limite :
« Tout le monde sait maintenant que la Science n’est pas un énoncé de la vérité des choses mais seulement un langage pour exprimer une certaine expérience des objets, leur structure, leur mathématique, une impression coordonnée et utilisable de leurs processus — rien de plus. La matière elle-même est quelque chose (peut-être une formation d’énergie ?) dont nous connaissons superficiellement la structure telle qu’elle apparaît à notre mental et à nos sens et à certains instruments d’examen (dont on soupçonne maintenant qu’ils déterminent largement leurs propres résultats, la Nature adaptant ses réponses à l’instrument utilisé), mais nul savant n’en sait davantage ou ne peut en savoir davantage ».
À partir de ce constat, Sri Aurobindo affirme que la science n’interdit pas un point de vue spiritualiste sur l’évolution. Pour lui, l’inconscient n’est pas seulement de nature subconsciente comme l’affirment les Freudiens (mais pas les Jungiens) et tous les psychologues matérialistes, mais l’inconscient a aussi une nature spirituelle où la conscience est élargie, se dépassant elle-même en supra-conscience.
Certes on peut considérer à un certain niveau que le subconscient est comme un ensemble de pulsions qualitatives traduisant un jeu de forces matérielles que la Science estime quantitatives et qui seules assureraient l’évolution. Mais pour Sri Aurobindo découvrir que l’inconscient est aussi de nature supraconsciente apporte un éclairage supraconscient jusqu’au fond du subconscient qui montre que le regard scientifique passe forcément à côté de la conscience cachée au cœur de la matière.
Sri Aurobindo caractérise la conscience humaine comme une conscience mentale :
« Dans la terminologie de notre yoga, le substantif « mental » et l’adjectif « mental » sont utilisés pour désigner spécialement la partie de la nature qui a rapport avec la cognition et l’intelligence, avec les idées, les perceptions de l’esprit ou la pensée, les réactions provoquées par les objets sur la pensée, les formations et les mouvements vraiment mentaux, la vision et la volonté mentales, etc. ». La conscience mentale humaine englobe selon lui une conscience vitale héritée des animaux et une conscience physique héritées des premières formes de vie.
Au-delà des plus hautes cimes supraconscientes de la conscience mentale, Aurobindo affirme qu’il nous est possible d’expérimenter un « supramental », qui est une connaissance directe de la vérité aujourd’hui connaissable indirectement et partiellement par notre intelligence mentale :
« Par supramental, j’entends la Conscience de vérité… par laquelle le Divin connaît non seulement sa propre essence et son être propre, mais aussi sa manifestation. »
mais ailleurs il précise :
« une description mentale de la nature supramentale ne pourrait que s’exprimer soit en termes trop abstraits, soit en images mentales qui pourraient la transformer en tout autre chose que sa réalité ».
Le yoga intégral élaboré par Aurobindo voudrait permettre la progression spirituelle individuelle et collective vers ce nouvel état.
L’innovation de Sri Aurobindo dans le domaine spirituel tient surtout au fait que pratiquer son yoga intégral permet non seulement d’aller vers le Divin, mais aussi d’accueillir en soi l’énergie divine, dans le but de manifester pleinement la conscience divine dans la matière : le mysticisme de Sri Aurobindo est actif, car il cherche à modifier dès à présent notre monde sur le plan matériel de son évolution. Il prône une certaine ascèse, mais à l’encontre d’un rejet du corps matériel, il cherche à nous faire prendre conscience d’ « une même loi supérieure [qui] gouverne la matière et l’esprit ».