Nous venons, après ces derniers longs mois, pour dater les évènements comme ils ne l’ont encore jamais été par ceux de notre génération.
Nous parlons de ce qu’il s’est passé « avant la guerre », et entre ce moment-là et ce jour même se tient une barrière incommensurable.
Ce livre et sa préface ont été terminés en 1914, « avant la guerre ».
Depuis le mois d’août 1914, la plus belle humanité de notre espèce endure des agonies prométhéennes. À l’instar de Prométhée qui supporta sans faillir les cruautés de la douleur, de la chaleur et du froid, de la faim et de la soif, et les tortures infligées par un obscène rapace, les hommes de notre nation et des nations auxquelles nous sommes fiers d’être alliés endurent ces mêmes souffrances. Les histoires anciennes de la Grèce ensoleillée paraissent maintenant bien plus lointaines qu’elles ne le paraissaient l’année passée. Mais si nous avons étudié l’étrange métamorphose des dieux antiques, nous pouvons observer avec intérêt, ou avec horreur, la représentation teutonne du Dieu en qui nous avons foi comme un Dieu de parfaite pureté, d’honneur et d’amour. D’après leur interprétation, le Dieu des Huns paraîtrait aussi bien être l’allié des vicieux que le dieu le plus avili du culte antique. Et si nous nous détournons avec honte de la Divinité si souvent et si aisément évoquée par des lèvres blasphématoires, et que nous regardons une image qui déchire nos cœurs, mais les remplit pourtant de fierté, nous pourrons comprendre pourquoi ces héros qui ont combattu et sont morts dans la vallée du Scamandre ne sont plus considérés comme des hommes, mais comme des dieux.
La mythologie du monde ne connaît pas de plus beau conte que celui qui a débuté en août 1914. Qui peut dire comment les générations futures le raconteront ?
Mais nous, dont les vies ne seront plus jamais les mêmes, pouvons dire en toute sincérité : « Le souvenir que le soldat laisse derrière lui, comme la longue traînée de lumière qui suit le soleil couchant, c’est tout ce qui importe, ce qui distingue la mort du brave ou de l’ignoble. »
Et pour tous ceux qui se battent, qui souffrent et qui meurent pour une noble cause, le Dieu des dieux, le Dieu des batailles, qui est aussi le Dieu de la paix et le Dieu de l’amour, est certainement devenu une entité immortelle plus proche que jamais.
« Nos systèmes puérils prospèrent quelques jours,
Prospèrent quelques jours, et doivent disparaître ;
Ce sont reflets brisés des rayons de ton être,
Et toi seul, ô Seigneur, toi seul dures toujours. »
JEAN LANG
Édimbourg, juillet 1915.